Le salut à Luis Sepúlveda d’Erik Orsenna et des Mémoires de la Mer

Hommage au grand écrivain chilien, décédé le 16 avril dernier à Oviedo en Espagne

« Pour les fous d’histoires, les religieux des quatre mots magiques (il était une fois), pour quelqu’un qui plus est de ma sorte (Cubain d’origine et pour un douzième brésilien) , l’Amérique est une mine aux trésors. Avec un chef coron dans chacun des pays du Grand Cône. Borges pour L’Argentine ; Garcia Marquez pour la Colombie ; Vargas Llosa pour le Pérou.

Pour mon si cher Chili , le choix est difficile. Trois noms me viennent , comme à vous tous. Relisez le Chant Général ( le bien nommé ) de l’immense poète Neruda. Embarquez-vous avec Francisco Coloane, car rien ne vaut , dans un livre ou sur un bateau , de partir pour le Cap Horn (foi de récidiviste).

Et saluez Sepúlveda. Bien sûr retrouvez les romans d’amour que lisait son vieux devenu légendaire, Antonio Jose Bolivar. Mais promenez vous ailleurs ! Cet homme nous aura tant emmenés. Devenez chat, torero, mouette, escargot. Tant de personnages vous attendent. Tant de lieux magiques, entre mer (déchaînée) et cordillère (glacée).

En ces jours de confinement, quoi de mieux que traverser des frontières.

Et d’abord celle qui bêtement sépare les vivants et les morts.

Juste le temps d’aller embrasser Sepúlveda.

Un abrazo, Luis. Respect et gratitude. »

Erik Orsenna

« Dans son livre « Le neveu d’Amérique », Luis Sepúlveda évoque une traversée de 500 miles sur un ferry, le « El Colono », depuis  l’île de Chiloe au sud du Chili jusqu’à la Patagonie. A un moment donné de la traversée, lorsque le ferry est déjà entré depuis quelques heures dans un des fjords de Patagonie, tout à coup le bateau réduit sa vitesse.

« Comme d’autres passagers, je me penche sur la rambarde de tribord pour voir ce qui se passe. Avec un peu de chance, on peut parfois observer les évolutions d’une baleine ou d’une bande de dauphins. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de cétacés mais d’un bateau qui gagne en netteté à mesure qu’il se rapproche. C’est une chaloupe chilote. Une petite embarcation d’environ huit mètres de long sur trois de large, poussée par la brise qui gonfle son unique voile. … » Qui ose, mange », disent les Chilotes. Celui que je vois passer, assis à la poupe, les mains fermement serrées sur la barre du gouvernail, telle une prolongation de son corps qui s’enfonce dans l’eau par l’amure de poupe, est un Chilote qui a osé « élever » des hêtres, des mélèzes, des peupliers, des eucalyptus, des tecks, a guidé leur croissance de longues années durant en leur suspendant des pierres de différents poids, jusqu’à ce que les troncs atteignent leur maturité et les courbures exigées pour obtenir une mâture ferme et souple. Je le vois remercier d’un signe de main le capitaine d’avoir donné l’ordre de réduire la vitesse afin que le petit bateau ne soit pas déstabilisé par les vagues que soulève El Colono. Il navigue maintenant sur le grand fjord et je sais qu’il se rend aussi à Corcovado, sur le terrible golfe de Penas, par les canaux Messier, El Indio, le détroit de Magellan, en haute mer, sans radar, sans radio, sans instruments de navigation, sans moteur auxiliaire, sans rien de plus, ni rien de moins, que sa connaissance de la mer et des vents. »

Extrait du « Neveu d’Amérique » de Luis Sepúlveda, traduit de l’espagnol par François Gaudry, paru aux Editions Métailié.

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