« Les mots de Lulu »

J’aurais eu bien besoin des mots de « Lulu » pour rendre hommage, sur ce site
du Festival des Mémoires de la Mer à Lucien (Lulu) Gourong, emporté par le
Covid lundi dernier dans son pays de Lorient.

Le 6 juin dernier, il m’avait envoyé spécialement pour ce site un magnifique
texte d’hommage à Mikaël Yaouank, le fondateur du groupe musical des
Djiboudjeb.

« Mikaël Yaouank, c’était une gueule de bat-la-houle taillée à la hache
d’abordage, une voix rocailleuse d’un tempestaire capable de faire taire une
bordée de tosse-mer en ribote dans n’importe quel abri côtier du moment qu’il
fût doté d’un bar, une tête de caboche capable de la plus grande aménité.
Mikaël, mon vieux pote de scène, de bringue et de troquet, a commencé à
chanter avec un compère lorientais Yan Ber au tout début des années 1970.
Que ce soit en solo, en duo, en groupe, notre Yaouank national a tout chanté du
répertoire inspiré par la mer, ses hommes, ses aventures, tout, pratiquement
tout, chansons, ritournelles, romances, rengaines, complaintes, ballades, tout
du moment que le contenu en fut empreint d’océanité… »

Façonneur de mots, Lucien Gourong a été toute sa vie un formidable passeur de mémoire.

Une mémoire dont la mer était rarement absente, parce qu’elle était la sienne,
celle d’une famille de l’île de Groix où on était marin de père en fils. Une
mémoire vivante, restituée avec gourmandise, avec truculence par un conteur
hors pair mais aussi par tous les artistes qu’il avait contribué à faire connaître, il
y a bien des années, dans sa fameuse auberge-cabaret de Merlevenez : Kloz An
Douet !

Pour Lucien Gourong, la mémoire comme le patrimoine, c’était une richesse à
faire vivre et à partager grâce aux ressources de l’imaginaire et de la création
artistique : un partage dont la convivialité et le sens de la fête étaient aussi les
ingrédients indispensables !

Cette mémoire était bretonne, bien sûr mais, pour lui, elle ne connaissait pas
de frontières, pas plus à l’intérieur de l’Hexagone qu’à l’extérieur.

Même si bien peu aujourd’hui s’en souviennent, Lucien Gourong a contribué
plus que tout autre à ré-ancrer Rochefort dans l’imaginaire maritime.

Par ses ballades contées au fil de la Charente et de la Corderie Royale, qui ont
trouvé leur point d’orgue dans une fameuse nuit du patrimoine en 1992 : ce
soir-là, dans la douceur d’une soirée d’été indien, tous les habitants de
Rochefort avaient déambulé, accompagnés de conteurs et de chanteurs, sur les
différents sites de l’ancien arsenal, mis en scène pour la circonstance dans leur
parure du 18 ème siècle.

Puis, pendant 20 ans, depuis les tout débuts et jusqu’au voyage américain,
Lucien Gourong a accompagné l’aventure de l’Hermione.

Le 6 juillet 2012, lors de la mise à l’eau de la coque de l’Hermione, il avait tenu
en haleine toute une après-midi les 65 000 personnes venues célébrer ce
moment attendu depuis tant et tant d’années, en redonnant vie à l’arsenal de
Colbert et à tous les métiers qui y étaient alors rassemblés.

Il m’avait proposé, entre autres, ce jour-là, de reprendre l’air de la Danae,
chant de marins traditionnel du gaillard d’avant, en adaptant les paroles pour
en faire l’hymne de l’Hermione :

« C’était une frégate, lon la,
C’était une frégate,
Hermione, elle s’appelait
A prendre un ris dans les Bass’ voiles
Hermione, elle s’appelait
A prendre un ris dans les huniers »

Quelques jours plus tard, il m’avait écrit pour me dire son envie de continuer à
accompagner l’Hermione :

« J’aimerai pouvoir un jour poursuivre ce travail entrepris autour de ces
personnages de fiction que j’ai créés pour l’événement et dont je n’ai
fait qu’évoquer l’histoire : Mathurin Bernier, le scieur de long venu du
Limousin, Baptiste Carnec, le bagnard brestois, Thomas Babaud, le novice
marinier qui vient avec la gabarre de son grand-père livrer du fret à
l’arsenal, le canonnier Laroche de Rochefort, embarqué sur l’Hermione.
Il y aurait peut-être même une BD à imaginer avec ces personnages de
chair et de sang même s’ils sont inventés. Mais le conteur ne fait que
boucher les trous où l’histoire ne sait rien, n’a rien à dire. »

Nouveau message en octobre 2014 alors que l’Hermione naviguait pour la
première fois en mer.

  « J’ai lu dans la presse que l’Hermione volait sur l’eau. Peut-être que se
présentera une opportunité, eu égard au rôle, bien que modeste, que nous
avons joué dans le projet, de pouvoir un jour s’y embarquer pour un
moment de découverte. Et puis, il me reste aussi toutes ces notes
accumulées du travail que j’avais effectué pour la mise en l’eau et dont
nous pourrions peut-être envisager une exploitation.
Par exemple, un livre de chansons avec des textes de présentation des
chansons de tous les corps de métiers qui ont œuvré à la construction,
depuis les chansons de mariniers de la Charente jusqu’aux chansons de
gaillard d’avant, en passant par celles des bûcherons, des scieurs de
long, des calfats, des voiliers, etc… »

Puissent les mots et les rêves de Lulu prendre demain racine sur les rives du
Scorff, du Blavet et… de la Charente !

Benedict Donnelly

Une réflexion sur « « Les mots de Lulu » »

  1. Bel hommage Benedict à cet infatigable Lulu qui a tant donné à ce monde de la mer qu’il a aimé , chanté , conté, en nous faisant rire aux éclats ou pleurer d’émotion . Avec sa dégaine de vieux loup de mer et son grand coeur , Généreux, fidèle en amitié curieux, toujours partant pour de nouvelles aventures…J’ai assisté hier à ce dernier adieu ,une cérémonie à son image , chaleureuse et drôle aussi malgré le gros noeud qui nouait la gorge. Je connaissais son intérêt pour la superbe aventure de l’Hermione .Ses mots vont nous manquer mais sa voix est à jamais inscrite dans nos mémoires et nos coeurs .Maëtte

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